Séminaire

Vers l’autonomie alimentaire de l’Ile-de-France ? Le scénario Afterres francilien

10 mai 2018
Notre système alimentaire, du champ à l’assiette, représente plus du tiers des émissions totales de gaz à effet de serre en France, en comptant les étapes de l’agroalimentaire, de la distribution et de la gestion des déchets. Au-delà de l'énergie, répondre aux enjeux environnementaux, sanitaires, nutritionnels et sociétaux impose de réduire significativement les 200 kg d’aliments perdus ou gaspillés par an et par personne à tous les stades de la chaîne. Il convient également d’inverser la proportion actuelle entre les protéines d’origine animale et celles d’origine végétale dans notre alimentation, en passant d'un rapport 2/3-1/3 à 1/3-2/3. Ceci passe notamment par la réduction à terme de moitié la consommation de viande au profit par exemple de légumineuses et de fruits à coques – une évolution qui ne fait que prolonger celle que l'on observe déjà dans les statistiques. En parallèle, l'évolution des pratiques culturales vers l'agro-écologie et l'agriculture biologique – dont la part dans l’alimentation a commencé à augmenter – contribue à la réduction sensible des impacts de toutes natures de notre alimentation.

Le scénario Afterres propose une approche systémique de l’utilisation des terres et de la biomasse visant un nouvel équilibre entre les grandes fonctions de celles-ci : alimentation humaine, alimentation animale, matériaux, énergie, écosystèmes et fonctions naturelles.



L’agriculture selon Afterres 2050 mobilise et généralise l’ensemble des meilleures pratiques et techniques disponibles. Le niveau de production primaire est maintenu par rapport au niveau actuel, mais les usages de ces productions sont profondément modifiés. Le solde exportateur diminue, mais nettement moins que dans le scénario tendanciel. Ceci répond à un souci de participation de la France à la sécurité alimentaire mondiale – avec en tête le risque d’effondrement des productions agricoles dans certaines régions du monde –, tout en supprimant le dumping actuel sur les exportations qui s’avère préjudiciable aux paysanneries des pays du Sud. Les pratiques telles que le non-labour et l’agroforesterie permettent de préserver l’humus des sols et/ou de stocker plus de carbone. La production de produits d’origine animale diminue significativement. Enfin, l’utilisation de co-produits végétaux comme matériaux ou pour l’énergie augmente.

Entre aujourd’hui et 2050, la France se couvre de nouveaux paysages au fur et à mesure de la généralisation des différentes formes d’infrastructures agroécologiques. Les effluents polluants (émissions de méthane et de protoxyde d’azote, engrais azotés, produits phytosanitaires) et les consommations de ressources (eau d’irrigation, artificialisation des terres, énergie) sont divisés d’un facteur 2 à 5. Leurs impacts sur la qualité de l’eau, de l’air et sur la biodiversité sont donc considérablement diminués.

I


En région Ile-de-France, le système conventionnel céréales/colza représente en 2010 41 % de la surface agricole de la région, contre 20 % pour le système conventionnel incluant un protéagineux, et 35 % incluant de la betterave. Les systèmes Bio et production intégrée actuels représentent, en 2010, moins de 5 % de la surface totale.

Dans la vision 2050, tous les systèmes évoluent. Il ne s’agit pas simplement d’augmenter la part des systèmes Bio et Intégrés mais aussi de veiller à la cohérence du bilan d’azote pour les systèmes Bio par exemple, pour éviter de les faire dépendre des autres systèmes pour leur fourniture d’azote. On notera que le protéagineux et la luzerne voient leur part augmenter très significativement, ce qui s’effectue nécessairement au détriment des autres cultures, et notamment des céréales qui représentent les deux tiers de l'assolement de 2010. Le travail mené sur les différentes régions conduit à fixer les règles générales suivantes :

• les protéagineux doivent représenter 25 % de la surface COP (céréales et oléoprotéagineux),

• la culture totale de légumineuses, y compris la luzerne, doit représenter 25 % de la surface totale de terres arables, y compris les cultures fourragères annuelles.

Les surfaces en céréales diminuent donc nécessairement dans les régions de grande culture, de même que les surfaces en oléagineux, au profit des légumineuses en général.

Face au changement climatique, deux stratégies sont envisagées aujourd’hui pour la forêt. L’une consiste à intervenir le moins possible pour laisser la forêt s’adapter de façon naturelle, l’autre à privilégier au contraire l’intervention de l’homme pour accélérer la mutation. Dans les deux cas, il semble que la fonction de puits de carbone de la forêt française soit amenée à diminuer sensiblement, voire à devenir négligeable d’ici la fin du siècle. Toutefois, les stratégies de “sylviculture dynamique” ont le mérite de maintenir une fonction productive de la forêt, sans pour autant prôner son artificialisation, mais en veillant au contraire à augmenter la biodiversité et les aménités offertes par les espaces boisés en général. Le scénario Afterres2050 s’inscrit dans cette perspective, avec une production qui plafonne à 90 millions de m3 de bois dans les années 2040.

Afterres2050 pose comme principe de ne pas dédier de terres à la seule production d’énergie. La biomasse utilisée pour l’énergie provient essentiellement de matières dérivées d’autres usages, dans une logique de priorité des fonctions. Pour le bois, il s’agit principalement de productions liées à du bois utilisé comme matériau (construction et industrie, dont les nouveaux usages de matériaux biosourcés en substitution aux hydrocarbures) et aux opérations de sylviculture permettant d’assurer une meilleure adaptation de la forêt au changement climatique ; de sous-produits générés à chaque stade de transformation et de consommation de produits à base de bois ; et de la valorisation des arbres « hors forêt », notamment de l’agroforesterie.

Le biogaz est produit également à partir de résidus de cultures, de déjections d’élevage, de biodéchets, et de couverts végétaux. Ces derniers assurent des fonctions agroécologiques et sont généralisés sur la quasi totalité des terres arables en 2050. Les installations de méthanisation jouent également un rôle clé dans la transition agroécologique, notamment dans la substitution de l’azote de synthèse (actuellement produit à partir de gaz naturel) par de l’azote d’origine biologique.

Directeur du pôle Énergie de Solagro, énergéticien de formation, Christian Couturier est un expert reconnu nationalement dans les domaines de la méthanisation, des bioénergies, et des stratégies énergétiques territoriales. Il a été un précurseur des démarches de territoire « 100% énergies renouvelables », concept qui a donné naissance aux TEPOS, puis aux TEPCv. Féru de prospective et de stratégie, co-auteur du scénario Afterres2050, il est, sur le terrain, un pragmatique éclairé. Il est également président de l'Association négaWatt, vice-président du Club Biogaz ATEE, et co-fondateur du réseau TEPOS (Territoires à Énergie Positive).

Illustrations : Initial Paysagistes.


Voir la conférence "Afterres 2050 pour l' Ile-de-France" :

https://www.dailymotion.com/video/x3bhp9r