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Eviter l'overshoot climatique

5 janvier 2016
 

Au Bourget, à quelques heures du dénouement de la COP 21, le 11 décembre 2015, des scientifiques ont présenté, devant une salle comble et dans une atmosphère tendue, leur évaluation du projet d'Accord de Paris.


Pour Kevin Anderson, directeur adjoint du Tyndall Centre pour la recherche sur le changement climatique, « la rhétorique ne va pas suffire. Ce brouillon d'Accord est plus faible que celui de Copenhague. Le texte actuel n'est pas cohérent avec les dernières estimations de la science. En l'occurrence, le texte de Copenhague couvrait les émissions de l'aviation et des navires, qui, additionnées, sont aussi importantes que les émissions du Royaume-Uni et de l'Allemagne, mais ne sont pas mentionnées dans le texte préparatoire à l'Accord de Paris. Pour les pauvres, particulièrement dans l'hémisphère sud, ce texte, qui ne fait aucune référence aux énergies fossiles, est quelque part entre le dangereux et le mortifère. »


« Soyons sérieux. Si nous voulons un cadre à 1,5°C, il faut réduire les émissions globales de 15 à 20% par an dès à présent ! Ce qui veut dire qu'il nous faut sérieusement songer à réduire la demande. Environ 50% des émissions globales de CO2 proviennent de 10% de la population. Il y a des opportunités énormes de réduire la demande. Mais celles-ci doivent venir des gros émetteurs. Y compris la plupart d'entre nous dans cette pièce », a estimé M. Anderson.


Les énergies fossiles éliminées… du texte de l'Accord


Pour Johan Rockström, directeur du Stockholm Resilience Centre, « nous avons besoin de décarbonisation globale, de – 75% au minimum d'ici à 2050. Le langage de la « neutralité des émissions » ouvre la possibilité de compter sur des puits de carbone géants tout en continuant à brûler des combustibles fossiles. C'est un futur très risqué. Les contributions nationales doivent être révisées très régulièrement – tous les deux ou trois ans, voire chaque année. Cela ne va pas suffire de les réviser tous les cinq ans ».


Steffen Kallbekken, directeur de recherche à CICERO, estime que « si vous regardez les options du texte actuel comparées au précédent, la mention de réduction d'émissions de 40 à 70% et de 70 à 90% a disparu du brouillon d'accord. Les options cohérentes avec la science ont été remplacées par de vagues formulations ».


Viser un pic global dès 2020


« Lorsque les engagements des Etats seront entrés en vigueur, en 2020, nous aurons probablement utilisé tout notre budget carbone cohérent avec l'objectif de 1,5° », a poursuivi M. Kallbekken. Il faut donc revoir les contributions nationales (INDC) bien avant 2030.


Pour Joeri Rogelj, de l'Institut international d'analyse appliquée des systèmes, « l'article 3 de l'accord met en avant un langage de compromis sur la neutralité des émissions. Ceci occulte le fait que les émissions de CO2 devront tomber à zéro pour stabiliser le réchauffement. Pour limiter le réchauffement à moins de 1,5°C, aucun scénario ne propose de retarder le passage à l'action jusqu'en 2020. Nous devons atteindre un pic global des émissions d'ici à 2020. Dépasser le budget carbone voudrait dire pouvoir retirer les excédents de l'atmosphère à une échelle massive ». Les scientifiques ont exhorté les négociateurs à ne pas prendre ce risque.


Hans Joachim Schellnhuber, directeur du Potsdam Institute for Climate Impact Research (PIK), estime que « la formulation qui limite le réchauffement de 1,5°C à 2°C est en accord avec le GIEC. Donc il y a de l'espoir. Mais le reste du texte ne rend pas opérationnel l'objectif de long-terme. Stabiliser les températures implique de s'orienter vers zéro émissions comme objectif planétaire d'ici à 2050 pour avoir une chance d'y parvenir. Or la formulation actuelle propose la 'neutralité des émissions' au cours de la deuxième moitié du siècle.».


Le concept de « neutralité des émissions » est un point sensible et controversé, car il sous-entend que les excédents de carbone pourraient être retirés de l'atmosphère par des systèmes de géo-ingénierie et de captation du carbone à grande échelle.


Agnès Sinaï


depuis la COP 21, le 11/12/2015