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Analyse du plan de relance et esquisse d'un plan de décroissance : enquête économique sur l'argent gratuit et ses perspectives politiques

7 décembre 2020
Devenue nécessaire par les mesures sanitaires, la création monétaire ouvre un interstice des possibles vers ce qu’on pourrait appeler des politiques économiques de décroissance hélicoptère au sens large. Nous pensons intimement que cette capacité budgétaire soudaine aurait ainsi pu être utilisée en faveur d’une véritable politique écologiste biorégionale. Nous nous sommes donc intéressées à trois grands secteurs de la société : les transports de basse technologie pour assurer vivres et mobilités, un système alimentaire écologique afin de sustenter notre vie organique et un revenu d’existence pour gratifier notre dignité humaine en tant qu’être-aproductif.


En réponse à l’urgence sanitaire mondiale de la pandémie de covid-19, la France entre en confinement une première fois le 17 mars 2020, se joignant ainsi à la mobilisation internationale contre la propagation du virus. Les mesures sanitaires ralentissent lourdement l’activité économique globale ; il s’agit d’un choc sans précédent en temps de paix. Des milliards d’euros sont alors annoncés pour alimenter le plan de relance économique. D’où provient cet argent qui semble tomber du ciel ? À quels secteurs ces milliards sont-ils destinés ? Alors que ce temps d’arrêt a été pour certains le moment d’envisager d’autres futurs possibles, devrions-nous relancer l’économie telle qu’elle était avant la crise du covid-19 ? Ou bien est-ce, au contraire, l’opportunité d’instaurer les changements radicaux nécessaires à la préservation des conditions d’existence de la vie humaine pour les générations présentes et celles qui lui succéderont ?

Nous avons souhaité rappeler chronologiquement et précisément les sommes qui ont été débloquées pour perfuser les structures économiques lourdement atteintes par les mesures sanitaires. À partir de ce constat, il nous a semblé important de commencer à réfléchir sur une alternative écologiste qui s’inscrit dans la perspective biorégionale de l’Institut Momentum.

Avec plus 500 milliards d’euros disponibles en Europe pour l’urgence sanitaire, auxquels s’ajoute 1 700 milliards par la banque centrale européenne (quantitative easing) pour des raisons de stabilité systémique, les faits viennent enterrer la prétendue fatalité austéritaire. En France, près de 140 milliards d’euros sont dépensés et 327 milliards mobilisés par des garanties publiques de prêts en urgence.

L’heure fut ensuite à la relance. L’Union Européenne débloqua 750 milliards d’euros en prêts et subventions dont 30% officiellement pour le climat. En France, les plans de soutien sectoriels s’élèvent à près de 45 milliards d’euros le 10 juin et s’ensuit, le 3 septembre 2020, l’annonce du plan de relance de Jean Castex à 100 milliards sur deux ans, dont une trentaine officiellement à « l’écologie ».

Rien qu’en France, et cela avant la seconde vague, près de 250 milliards euros ont été dégagés sur deux ans pour des dépenses directes, soit environ le budget général annuel de l’État. La politique austéritaire n’est plus d’actualité et il nous incombe de prendre au sérieux cette rupture doctrinale budgétaire. Devenue nécessaire par les mesures sanitaires, la création monétaire ouvre un interstice des possibles vers ce qu’on pourrait appeler des politiques économiques de décroissance hélicoptère au sens large. Nous pensons intimement que cette capacité budgétaire soudaine aurait ainsi pu être utilisée en faveur d’une véritable politique écologiste biorégionale. Nous nous sommes donc intéressées à trois grands secteurs de la société : les transports de basse technologie pour assurer vivres et mobilités, un système alimentaire écologique afin de sustenter notre vie organique et un revenu d’existence pour gratifier notre dignité humaine en tant qu’être-aproductif.

Prenons en premier lieu les transports de basse technologie. Le gouvernement soutient exceptionnellement le secteur aéronautique (15 Mds), le secteur automobile (8 Mds) et ajoute un fonds de développement vert (13 Mds) largement lié aux précédents. Sans oublier les dépenses publiques ordinaires du secteur des transports (46 Mds), nous avons déjà là près d’une centaine de milliards d’argent public. Définissant la mobilité active et ferrée comme référence écologique, nous rejetons globalement l’aviation et l’automobile au profit de la force musculaire, de la voie ferrée et des voies navigables. Par force musculaire, il s’agit aussi de celle des animaux domestiques qui doit être régie par une nouvelle éthique animale. Prenons l’exemple de la question agricole, le remplacement des machines par les chevaux nécessiterait environ quatre millions chevaux de traits (soit 15 Mds). Le reste (85 Mds) peut être redirigé vers la désurbanisation solidaire, le ménagement territorial[1] et les infrastructures piétonnes, cyclables, maritimes et ferroviaires.

Après avoir effondré notre efficacité énergétique avec la très vulnérable agriculture industrielle, il convient de faire un plan urgent de relance agroécologique. Cette fois-ci, plutôt que de créer de nouveaux milliards, nous proposons en toute sobriété de réorienter les 350 milliards de la PAC (somme ô combien symbolique de l’échec agroproductiviste) pour la transformation agroécologique européenne. Une agriculture paysanne écologique nécessiterait plus de dix millions d’emplois, et plus encore avec l’avènement de la polyactivité diminuant la durée moyenne d’un emploi : c’est bien là que se joue la fin du chômage et la décroissance frugale.

Enfin nous arrivons à la question critique du revenu d’existence, critique car utopique puisque trop cher, critique aussi puisqu’elle émerge d’une double genèse paradoxale : libérale et communiste. Sans entrer dans ce débat ici, et avec une perspective décroissante, l’allocation de 500 euros par personne permettrait de subvenir à des besoins de base sans pour autant se suffire : l’emploi à temps choisi étant alors un droit effectif, ses revenus viendraient compléter cette allocation. Celle-ci nécessiterait aujourd’hui, en France, 400 milliards d’euros qui peuvent être financés par la hausse de l’imposition des plus riches, notamment par un impôt sur le capital, une taxe sur les transactions financières et, éventuellement par la suppression d’aides redondantes. L’objectif final de cette mesure serait d’introduire un droit à la dignité humaine par la capacité économique minimale qui conditionne la liberté de choisir ses activités économiques, sociales et réparatrices. Quand bien même les ressources seraient insuffisantes, ou bien par choix politique volontaire, nous pouvons créer la monnaie nécessaire à assurer ce revenu d’existence ou à l’établir au-delà du seuil actuel de pauvreté soit environ 1000 euros. Bien que cette solution puisse provoquer une inflation par augmentation de la demande, elle permettrait de redistribuer le capital qui perdrait de la valeur par dévaluation : son rendement (ses intérêts) croissant moins vite que le niveau des prix, la valeur réelle du capital diminue. Nous appelons donc cette stratégie la décroissance hélicoptère au sens strict puisqu’elle entraîne une réduction mécanique des inégalités d’une part (indispensable pour casser la société de consommation) et de la production globale d’autre part en permettant la réduction du temps de travail. Ce système est ainsi convergent (égalitarisant) et assure la sobre dignité à chacun·e tout en amenuisant la concentration des richesses indignes de notre humanité et incompatible avec sa survie.

Voilà donc une esquisse des réflexions qui traversent l’Institut Momentum et qui seront prolongées dans des travaux ultérieurs. Ce rapport permet de faire le bilan quantitatif de l’étrange période présente avant de proposer des pistes momentumiennes pour une décroissance dans un contexte d’argent gratuit. Au-delà de l’actualité qui nous oblige, il nous semble que ces instruments financiers sont désormais disponibles au sens où, malgré les dires austéritaires des gouvernants, ils existent, ont été utilisés et peuvent donc être réutilisés, du moins en l’absence d’un effondrement systémique global.


[1] Terme emprunté au philosophie Thierry Paquot tel qu’il l’utilise dans son séminaire pour le collectif Frugalité heureuse et créative, Ménager nos territoires, 10/11/2020. Consulté sur Youtube, le 20/11/2020 : {https://www.youtube.com/watch?v=FNR_mHJHA8k}.