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Ile-de-France 2050 : après l’effondrement, le nouveau visage de la capitale

4 août 2019

Le rapport « Biorégions 2050 », rédigé par l’Institut Momentum pour le forum Vies mobiles, imagine une région francilienne rendue plus agréable à vivre après avoir traversé une période chaotique l’obligeant à une complète transformation.

Nous sommes presque en 2050. «L’Ile-de-France a subi une fragmentation forcée résultant du Grand Effondrement. A partir de 2019, les effets du dérèglement climatique sont devenus de plus en plus perceptibles, obligeant une partie de la population francilienne, la plus aisée, à quitter la région. En raison d’une crise économique liée à l’interruption erratique des flux de la mondialisation, la carte des activités a dû être redessinée et la capacité d’autoproduction renforcée. La vie quotidienne a retrouvé une forme de convivialité de proximité, à base d’entraide et de solidarité. Les hypermarchés ont disparu, démontés pour récupérer le fer et l’aluminium. Le périphérique a été couvert de verdure et transpercé de radiales cyclistes et pédestres qui conduisent aux biorégions limitrophes. La fin des moteurs thermiques, liée à la pénurie de pétrole et à des décisions politiques, a induit une atmosphère nouvelle. L’ozone atmosphérique et les microparticules ne polluent plus l’air. Les cyclistes peuvent pédaler sans s’étouffer.»

Il ne s’agit pas là du scénario d’un énième film d’anticipation, mais de celui, voulu réaliste, conçu par l’Institut Momentum pour le forum Vies mobiles (un think tank financé par la SNCF). Intitulé «Biorégions 2050», il imagine, sur 244 pages, fruit d’un travail de deux ans, à quoi pourrait ressembler la région francilienne à la suite d’un effondrement sociétal de grande ampleur. L’idée n’est pas de dérouler un scénario chaotique où la violence aurait pris le dessus, mais plutôt de dessiner une région rendue plus agréable à vivre, «reconnectée à des rythmes plus lents, pratiquement autosuffisante sur le plan énergétique et alimentaire, libérée des nuisances des énergies fossiles».

A la lecture de ce rapport, on en vient à se demander si un effondrement partiel ne pourrait pas être une bonne nouvelle. Mais la transition vers cet état est pavée de violences et de restrictions. Un des postulats de Momentum est que Paris et son contour urbanisé ont perdu la moitié de leur population. Un système de rationnement des biens comme de l’énergie a été établi. Aujourd’hui, ces solutions radicales ne rencontrent pas beaucoup de succès. Mais le constat de l’extrême fragilité de l’Ile-de-France face à de possibles chocs environnementaux, climatiques, économiques ou industriels est, lui, largement partagé. Tout comme la nécessité de rendre la région plus résiliente face à ces risques. Et vite.

« Il faut arrêter de croître »


Les principales fragilités de la région : une densité extrême et un déséquilibre entre des secteurs d’activités économiques concentrés à l’ouest, et les logements à l’est, une forte dépendance aux flux constants d’approvisionnement en aliments comme en énergie. Un cocktail qui crée des artères de circulation en perpétuelle congestion et des pics de pollution de plus en plus réguliers. «La région consomme vingt fois plus d’énergie qu’elle n’en produit, décrit Sylvie Landrière, codirectrice du forum Vies mobiles. La course en avant vers l’agrandissement de l’Ile-de-France est irrationnelle. Il faut arrêter de croître. Pourtant les projets du Grand Paris s’inscrivent dans la continuité de l’urbanisation du XXe siècle. On ajoute des tuyaux supplémentaires, les métros, qui seront saturés dès leur lancement et attirent toujours plus de constructions immobilières.»

Du côté de la région, on assure pourtant être engagé sur le sujet. «Nous agissons dans beaucoup de domaines : limiter l’imperméabilisation des sols et l’étalement urbain qui empêchent l’écoulement des eaux lors des violents orages devenus de plus fréquents, détaille Jean-Philippe Dugoin-Clément, vice-président de la région Ile-de-France en charge de l’écologie, du développement durable et de l’aménagement. Nous voulons conserver et étendre des îlots verts en ville, des zones pour recueillir de l’eau. Notre Plan vert prévoit 8 millions d’euros par an pour désimperméabiliser des sols et les revégétaliser.» Plus largement, la région doit être rééquilibrée pour rapprocher les emplois des lieux de vie, et ainsi, diminuer le nombre de déplacements comme leur distance.

Dans le scénario pour 2050, l’Institut Momentum prévoit «la fin de la mégalopole parisienne, trop grande, trop dense et extrêmement fragile face aux crises. Elle se disloquera en entités plus petites qui devront compter sur leurs propres ressources. Ce changement d’échelle d’organisation du territoire régional lui permettra de mieux résister aux situations d’urgence et aux crises». Ce que soutient aussi Jean-Philippe Dugoin-Clément : «La réorganisation de l’Ile-de-France est un débat depuis cinquante ans, mais depuis une dizaine d’années, nous voyons la situation évoluer avec le développement de pôles de polycentralité hors de Paris, comme à Saclay et à Sénart.»

Indépendance alimentaire


Un autre angle d’attaque essentiel demeure l’amélioration de l’indépendance alimentaire comme énergétique de la région. «L’empreinte écologique des Franciliens est tellement importante qu’elle nécessite des approvisionnements permanents, dit Arthur Keller, spécialiste des vulnérabilités systémiques des sociétés et des stratégies de résilience collective. Actuellement, si ces chaînes d’approvisionnement s’interrompent même trois semaines, à cause d’un événement climatique par exemple, la situation de crise arrivera rapidement. L’armée devra intervenir. Dans les magasins comme dans les hôpitaux, les stocks ne sont que de quelques jours.»

Une des solutions serait d’augmenter la production agricole régionale et de rendre des espaces urbanisés à l’agroécologie et aux polycultures. Cela nécessiterait le développement massif des emplois agricoles et donc des formations. Pour Momentum, il faut passer de «10 000 emplois agricoles en 2017 en Ile-de-France, à environ 1 million et demi en 2050». Cette transition est en cours mais de nombreuses barrières économiques comme politiques l’empêchent d’atteindre la vitesse indispensable. «Je rêve qu’on mette en place un droit exceptionnel pour l’urgence climatique et environnementale qui libérerait les actions des pouvoirs locaux, reconnaît Jean-Philippe Dugoin-Clément. La contractualisation qui bloque les budgets des collectivités ne devrait pas s’appliquer à ce qui touche à la protection de l’environnement. C’est un cadre que peut changer le gouvernement.»


Photo Eric Feferberg, AFP


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