Séminaire

Mobile / Immobile
dans la Grande Accélération

13 février 2016
Aujourd’hui tout bouge tout le temps. Les déplacements et les télécommunications ont pris une place centrale dans l’organisation sociale et nos modes de vie. A titre d’exemple, les mobilités internationales ont été multipliées par quarante depuis les années 50, alors que la population croissait moins de trois fois dans le même temps. Derrière la révolution qu’a connue la mobilité ces dernières décennies, se cache une accélération de nos modes de vie, nous donnant notamment la possibilité d’organiser un éparpillement spatial de nos vies.
Au quotidien, si le temps passé à se déplacer est à peu près constant, une heure par jour environ, cela masque l’augmentation des distances parcourues, permise par celle des vitesses de transport : 25 km parcourus quotidiennement en moyenne par un Français en 2008, contre 16 km quinze ans plus tôt. Quand la voiture favorise le développement du périurbain, le TGV permet la bi-résidentialité ou la pendularité longue distance à l’échelle des aires urbaines. Les nouvelles technologies, contribuent de leur côté à l’intensification de nos rythmes de vie : augmentation de la fréquence de nos déplacements physiques, communication à toute heure du jour et de la nuit, etc.

Quel droit à la mobilité ?


Dans les sociétés occidentales contemporaines, la mobilité n’est plus seulement une pratique, elle est devenue une valeur de la modernité. L’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme affirme ainsi que « toute personne a le droit de circuler librement ». Et depuis une dizaine d’années, cet article a été traduit par la notion de droit à la mobilité. Pour certains, comme le sociologue François Ascher, c’est même devenu le droit des droits, celui qui conditionne l’accès à tous les autres : le droit au travail, au logement, à l’éducation, aux loisirs, à la santé, etc.

Cette vision du droit à la mobilité pose avant tout la question des inégalités. Quelles sont réellement les implications de notre inégalité face à la mobilité ? Et que signifie vraiment un droit à la mobilité quand au moins les deux tiers de la population de la planète n’a pas le droit de circuler librement ? Quand la hiérarchie cinétique au sein des pays en développement est éminemment marquée (la ville de Sao Paulo en est un bon exemple avec l’utilisation massive des hélicoptères à Sao Paulo par les plus riches pour éviter les embouteillages de la ville et un prix du ticket de métro trop élevé pour les plus pauvres) ? Et quand cette hiérarchie cinétique reste très marquée au sein des pays développés (la stratégie commerciale mise en place autour du TGV en France en est un bon exemple)?

Dans le même temps, la revendication d’un droit à la mobilité pour tous se traduit de plus en plus en injonction à la flexibilité, pour s’adapter au marché de l’emploi par exemple. Cela aboutit à une mobilité non désirée, éprouvante et socialement coûteuse. Les plus pauvres en sont généralement les premières victimes car à la recherche d’un emploi ou n’ayant pas accès aux moyens de transport ou de communication les plus efficaces pouvant les aider à gérer leurs déplacements (ou à les éviter). Cela débouche d’ailleurs sur des contradictions. Les plus précaires, à qui l’on demande d’être « mobiles » pour trouver un emploi, ont en fait bien souvent développé des ressources locales sociales dont ils se retrouvent coupés s’ils s’en éloignent.

La valorisation de la mobilité a ainsi des conséquences directes sur notre modèle de société sur lesquelles il faut avoir un regard critique. Les modèles de mobilité qui sont produits posent la question de leur soutenabilité. La mobilité touristique en est un bon exemple. L’avènement du tourisme de masse, s’accompagne d’un appauvrissement de l’expérience du voyage avec l’uniformisation des offres et localement, des zones touristiques endommagées voire détruites. Plus largement se pose la question de la congestion physique à grande échelle. Les sociétés modernes ne cessent de construire de nouveaux tuyaux créant une offre nouvelle, bien souvent, rapidement saturée. Pourtant, les enjeux énergétiques remettent en question la durabilité de nos modes de consommation, notamment pour ce qui est du système pétrole. Les enjeux environnementaux questionnent également la soutenabilité de notre système : le transport est le 2ème secteur émetteur de CO2 à l’échelle mondiale, auquel il faudrait peut-être désormais ajouter une partie du secteur du numérique.

Dépendance au pétrole et défi d’une mobilité décarbonée


Depuis le début du XXème siècle, c’est le pétrole qui a mis en mouvement notre société et permis une accélération spectaculaire des modes de vie au sein des pays développés : 95% de nos mobilités dépendent du pétrole ! Le système automobile est peut-être l’exemple le plus marquant du système sociotechnique complexe établi autour du pétrole et verrouillé pour des décennies : nous avons élaboré des industries, construit des infrastructures, mis en place les modes de vie contemporains, grâce et autour du pétrole. Ces derniers nous paraissent évidents et nécessaires mais ils n’ont pas de futur soutenable. Nous nous sommes rendus dépendants au pétrole et nous en retrouvons prisonniers. Ces mobilités liées au pétrole sont problématiques par bien des aspects : le pétrole se raréfie inéluctablement, il pose des problèmes de santé publique au titre de la pollution de l’air, et surtout, afin de limiter les impacts du réchauffement climatique sur la planète, il ne faut plus l’extraire si l’on ne veut pas consommer le budget carbone qu’il nous reste !


Ralentissement de nos rythmes de vie


Au Forum Vies mobiles, nous proposons une reconfiguration des échelles et des rythmes de vie en fonction des territoires et des aspirations. Rendue nécessaire par la diminution et le ralentissement des déplacements physiques, liés à la disparition du pétrole dans nos systèmes de mobilité, cette reconfiguration est souhaitable pour mieux répondre aux aspirations de nos concitoyens. Il ne s’agit pas de penser le futur à l’aune du passé. De nouveaux modes de vie seront à inventer, favorisant les interactions à un niveau plus local ou régional. Cette diminution des déplacements physiques entrainera une certaine décélération des modes de vie et nous apportera peut-être la possibilité d’avoir plus de temps pour nous.

Les rythmes sociaux s’en trouveraient changés. On peut imaginer que ce seront principalement les déplacements courts et lointains qui seraient limités… et même les rendez-vous d’affaires ? Cela pourrait également avoir des incidences sur les déplacements liés au tourisme : peut-être n’irions-nous plus dans des lieux « exotiques » aussi fréquemment ; mais peut-être également que lorsque nous le ferons, ce sera pour des durées bien plus importantes qu’aujourd’hui, six mois, un an, voire plus. Faudra-t-il alors repenser l’organisation de la vie professionnelle pour permettre des congés moins fréquents mais bien plus longs ? La régulation pourrait également se faire par mode : les avions pour les urgences, les trains pour les voyages et le numérique s’imposerait pour les échanges internationaux de courte durée.


Préparer la transition dès maintenant


Au Forum Vies Mobiles, nous pensons que c’est en agissant dès maintenant que l’on pourra décider de l’avenir de nos vies mobiles dont il faut préparer l’avènement en déclenchant ce que le Forum Vies Mobiles appelle une transition mobilitaire. Pour réussir la transition, il ne nous apparait pas souhaitable de faire « table rase » du passé et la sortie du pétrole doit être progressive. C’est en infléchissant le présent que l’on pourra construire le futur. La transition doit ainsi se faire étape par étape sur le court, moyen et long terme, pour bâtir un modèle de société plus soutenable qui prenne mieux en compte les aspirations des citoyens, qui peuvent être un formidable moteur de changement.

Sylvie Landriève et Christophe Gay, co-directeurs du Forum Vies Mobiles


Pour en savoir plus sur le Forum Vies Mobiles :

  • Sa présentation générale : http://fr.forumviesmobiles.org/page/presentation-lassociation

  • Son programme de recherche : http://fr.forumviesmobiles.org/page/axes-recherche

  • Son manifeste : http://fr.forumviesmobiles.org/forum-vies-mobiles/blog/2012/12/07/editorial-preparer-transition-mobilitaire-403


Pour en savoir plus sur les projets de recherche du Forum Vies Mobiles :

  • Noland’s Man - Projet de recherche sur le mode de vie des travelers : http://fr.forumviesmobiles.org/projet/2013/10/22/nolands-man-enquete-sur-pratiques-et-valeurs-dun-peuple-invisible-1482

  • Tranches de vie mobile - livre issu de la recherche sur les grands mobiles : http://fr.forumviesmobiles.org/publication/2014/11/03/presentation-2635

  • Post Petroleum – la conférence autour du livre de John Urry sur l’avenir de nos vies mobiles dans un monde sans pétrole : http://fr.forumviesmobiles.org/meeting/2015/10/29/quelles-mobilites-apres-petrole-conference-3-novembre-2015-3015


Contacts :

Sylvie Landriève : sylvie.landrieve@sncf.fr

Christophe Gay : christophe.gay@sncf.fr

Tom Dubois : tom.dubois@sncf.fr / 01 85 07 35 19

Crédit photo Caroline Delmotte